Un après-midi de fin janvier 2021, alors que je suis à Montréal et que le monde vit au rythme de la pandémie de Covid, je reçois l’appel d’un de mes meilleurs amis de longue date. Les premiers mots échangés me sortent totalement de ma torpeur hivernale :

  • Clément, il faut que je te dise un truc, n’en parle pas autour de toi mais je vais devenir millionnaire ! 

Cet ami, appelons-le Fred, venait de faire son premier gros coup en crypto. La crypto, ou cryptomonnaie, c’est, selon Wikipédia, une monnaie numérique émise de pair à pair (actif numérique), sans nécessité de banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé. Elle utilise des technologies de cryptographie et associe l’utilisateur aux processus d’émission et de règlement des transactions. Cette cryptomonnaie repose systématiquement sur une technologie de Blockchain, comme un gigantesque livre de comptes consultable par tous et qui répertorie et gère, pour faire simple, l’ensemble des transactions qui ont eu lieu avec cette monnaie depuis sa création.

En somme, c’est comme s’il existait un outil consultable par tous dans chaque banque, et permettant d’avoir une vue transparente sur l’ensemble des comptes et des transactions des clients. C’est un des attraits de cette technologie, mais cela va bien évidemment beaucoup plus loin. Pour l’heure, revenons à notre histoire. 

Early Adopter

La première fois que j’ai entendu parler de crypto, je devais encore être étudiant. C’était probablement en 2013, lorsque le Bitcoin atteignait déjà et pour la première fois des sommes qui semblaient astronomiques : 

En l’espace d’un mois, la valeur du Bitcoin prenait plus de 690%. C’est-à-dire que si quelqu’un avait acheté pour 1000 dollars de Bitcoin durant l’été 2013, il se retrouvait avec quasiment 8000 dollars en novembre. Aujourd’hui, si cette personne avait conservé ses Bitcoins – et nous ne sommes pas au plus haut du marché – elle aurait à sa disposition environ 330 000 dollars, sans les intérêts potentiellement générés. À cette époque et malheureusement pour moi, je n’avais ni des dons en divination, ni le moindre sou à investir. Mon niveau de connaissance du sujet devait être similaire à la grande majorité des gens : faible, voire inexistant. J’avais d’autres priorités et occupations dans la vie que de m’intéresser à une obscure technologie créée par un inconnu et qui semblait à l’époque peu utile.  

Quelques années s’écoulent avant que je sois replongé dans le sujet par Fred qui, lui, s’était intéressé à la chose de plus près. Courant 2016 – 2017 je découvre par son intermédiaire Ethereum, un nouveau protocole utilisant la technologie Blockchain et doté de sa propre cryptomonnaie, l’Ether. Ce nouveau protocole a de particulier qu’il introduit ce que l’on appelle des smarts contracts (ou contrats intelligents), des protocoles informatiques qui facilitent, vérifient et exécutent la négociation ou l’exécution d’un contrat. Cela peut être une transaction de crypto entre deux utilisateurs, ou la vente d’un NFT (je reviendrai sur cet acronyme plus tard) par exemple. En bref, la technologie Blockchain d’Ethereum est plus simple et plus actionnable que celle du Bitcoin. 

Je vous l’ai dit, je n’y comprenais rien. Mais engaillardi après avoir vu et revu Le Loup de Wall Street et The Big Short, je voyais bien que, comme le Bitcoin, il y avait un fort potentiel de croissance pour Ethereum ou l’autre protocole qui arriverait à défier la toute puissance du Bitcoin. 

Fred, lui aussi, l’avait compris. Et c’est ainsi que son aventure en crypto a démarré au printemps 2017. 

Voici à quoi ressemblait son portefeuille en mai 2017. La croissance allait bon train et je décidais moi aussi d’investir mes quelques économies, étant employé à l’époque. Mais vivant au Canada avec un passeport français, impossible ! La complexité d’ouverture de compte sur une plateforme de trading de cryptomonnaie en vivant à l’étranger était trop importante pour moi. Cela dit, avec un collègue je lançais un projet de comparateur de cryptomonnaies : Comparacoins.com. On ne le sortit jamais. 

Je me contentais donc de suivre le cours de l’ETH et de le voir monter et monter jusqu’à ce que je sois à nouveau happé par le flot de toutes les choses de la vie. De sorte qu’au moment de ce fameux appel, je ne m’intéressais absolument plus au sujet de la crypto et étais passé à autre chose.

Si j’avais investi 1000 dollars en mai 2017 et que je n’y avais pas touché, j’aurais aujourd’hui, sans les intérêts, environ 21 000 dollars. Cela aurait pu grimper au double si j’avais vendu en novembre 2021. 

Ci-dessus la part de marché des 15 plus grosses cryptomonnaies en Janvier 2022. La capitalisation de l’Ether atteint plus de 455 milliards de dollars. Si c’était une compagnie, ce serait la dixième plus grosse valorisation boursière au monde.

Mais comme mon professeur d’Histoire de cinquième le disait si bien, “avec des si, on mettrait Paris en bouteille”. Mon ami, lui, n’a jamais quitté le monde de la crypto. Et c’est quelques mois après nos échanges que son histoire s’emballe. 

Can you share this with your Ethereum community?

L’histoire ne serait que trop classique et dénuée d’intérêt si Fred avait simplement flairé le bon filon et investi massivement dessus. Certes, c’est en partie le cas, mais au vu du titre que j’ai donné à cet article, tout lecteur assidu devrait déjà avoir compris que, même en crypto, 1000 dollars d’investissement est une somme généralement insuffisante pour devenir millionnaire. 

Lors de l’éclosion d’Ethereum, Fred a fait partie des premières personnes à s’y intéresser réellement en France et a rapidement cherché à trouver, développer et partager de l’information en français sur le sujet. Et quoi de mieux en 2017 pour effectuer ce genre de veille qu’un bon vieux groupe Facebook ? Il fut l’initiateur d’un des premiers groupes Facebook parlant d’Ethereum en français. Ce qui lui permit ensuite de rejoindre comme administrateur le plus gros groupe sur Ethereum à l’international. En septembre 2017, ces groupes rassemblaient déjà des dizaines de milliers de membres. 

Par le plus grand des hasards, au même moment à Helsinki en Finlande, un étudiant en droit prénommé Stani Kulechov décide de lancer un projet de finance décentralisée (deFi) via le protocole Ethereum, baptisé à l’époque ETHLend, aujourd’hui Aave. Pour faire simple, son projet initial était de créer une plateforme de prêts décentralisés garantis en cryptomonnaie. Mais comme tout étudiant, Stani n’a pas beaucoup d’argent. Il cherche donc un moyen de faire connaître son projet à moindre coût. C’est ainsi que, parmi d’autres, il finit par être mis en relation avec Fred. Il lui demande de poster régulièrement sur les deux groupes Facebook des informations au sujet de son projet. En échange, Stani lui offre des tokens de son projet, des LEND. Un token est une monnaie qui repose sur une blockchain préexistante. En l’occurrence un LEND est un token de la blockchain Ethereum. 

Le genre de post que mon ami partageait. La capitalisation de Aave avoisine désormais les 2 milliards de dollars. 

Fred reçoit donc 120 000 tokens LEND sur deux ans pour avoir contribué à faire connaître le projet au sein de la communauté. Des projets et des deals comme cela, il en existe encore des centaines. Rares sont ceux qui fonctionnent et perdurent. Le projet de Stani lui, a fait son petit bout de chemin. À l’heure où j’écris ces lignes, Aave est valorisé à environ 2 milliards de dollars et gère plus de 19 milliards de dollars de liquidités. C’est un système de prêt décentralisé qui permet aux utilisateurs de prêter, d’emprunter et de percevoir des intérêts sur des crypto-actifs, le tout sans intermédiaire. En résumé, plutôt que d’utiliser un livret épargne à un taux frôlant le ridicule, Aave offre la possibilité d’être son propre banquier et d’aller chercher des taux d’intérêt bien plus intéressants pour ses investissements. 

 On voit par exemple ici qu’en stockant des tokens USDC ou USDT (ce que l’on appelle des stable coins, une monnaie virtuelle dont la valeur est indexée à une monnaie réelle, ici le dollar), on obtient un taux d’intérêt annuel de 2.83% à 16.84%. Mais ma volonté n’est pas ici de vanter les mérites de la finance décentralisée, poursuivons !

Comme je l’ai dit, ETHLend devient rapidement Aave. En juin 2020, soit deux ans et demi après que Fred ait reçu ses tokens, Aave décide de remplacer son token LEND par un nouveau token, AAVE. 100 LEND vaudront 1 AAVE. La valeur unitaire de départ du AAVE est de 53.22 dollars. Fred se retrouve donc avec 1200 AAVE, déjà une belle somme !

Voilà pour le contexte. Retour dans l’hiver montréalais de 2021. Lorsque mon ami m’appelle, le cours du AAVE franchit la barre des 286 dollars. En juin, il dépasse même très succinctement les 600 dollars. Mon ami approche alors le million de dollars d’actifs en cryptomonnaie.

La conversation que nous avons eu ce jour-là m’a bouleversé. D’abord, je n’ai ressenti aucune jalousie. Simplement du bonheur et de la fierté pour un ami qui avait toujours tenté d’entreprendre des choses et qui avait toujours navigué hors des sentiers battus. Fierté de le voir réussir, fierté de le compter parmi mes proches et fierté d’avoir vu d’où il était parti. Ensuite, ce bonheur intense s’est transformé en un immense élan de motivation. J’en ai tiré toute la volonté nécessaire pour lancer mon site web et me remettre au travail, après une longue pause difficile dont j’avais parlé lors du précédent billet. Je me suis aussi dit que certains actes de procrastination pouvaient coûter très chers ! 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

2021, le délire des NFT

 

En juillet, Fred me parle pour la première fois de NFT.

Pour ceux qui ont vécu dans une grotte en 2021 hors du monde numérique – bravo à vous, je vous envie – les NFT, ou jetons non fongibles (non-fungible token en anglais) sont des tokens sur une blockchain qui représentent un objet (souvent numérique), auquel est rattachée une identité numérique (reliée à au moins un propriétaire). Le cas le plus concret aujourd’hui est celui des œuvres d’arts numériques, que l’on retrouve par centaines de milliers sous forme de NFT, et qui s’arrachent, dans certains cas, à prix d’or. Comme c’est le cas pour le Cryptopunk de la vidéo, vendu à plus de 11 millions de dollars en juillet 2021. D’ailleurs, pour acheter un Cryptopunk à l’heure actuelle, il faut compter au minimum aux environs de 180 000 dollars. Il en existe 10 000.

Même pour mon ami, un Cryptopunk coûtait déjà trop cher. Contrairement à un token dont la valorisation dépend, en général, s’il l’on oublie les dégâts spéculatifs mais très lucratifs d’un Elon Musk, de l’intérêt et de l’utilité du protocole qu’il y a derrière, il n’y a en général qu’un intérêt purement subjectif et spéculatif à un NFT. 

Par exemple, le protocole Aave a une utilité dans la blockchain Ethereum : celui d’emprunter et de placer de l’argent pour en tirer des bénéfices. Sa valorisation (très forte) est donc relative à cette utilité. 

Une collection de NFT comme celle des Cryptopunks elle, n’a la plupart du temps aucun intérêt sinon esthétique. Mais sa valorisation est aussi très forte, dû le plus souvent à des mouvements spéculatifs. 

Autant dire que mon ami n’avait aucune envie de balancer 50 000 boulasses par la fenêtre pour un avenir plus qu’incertain. Mais, pour le fun et par curiosité, il décide d’investir sur d’autres collections de NFT plus abordables. L’une d’elles, nous a marqué tous les deux sans doute à vie : j’ai assisté en direct à la vente de son NFT à plus d’une centaine de milliers de dollars. 

Cette fameuse collection, c’est celle des Cryptophunks (PHunk, pas Punk). Elle a pour seule différence que les “oeuvres d’arts” (des personnages pixelisés) ont été changé de sens, “flippés”. Cette histoire mériterait elle-même un billet, mais, pour résumer, les initiateurs de cette collection “rebelle” se revendiquent comme les vrais punks du Web 3.0 (celui de la blockchain, en opposition au web 2.0, celui qui fait notre vie de tous les jours) et que le fait d’avoir retourné les oeuvres est en soi une forme d’art. Au moins dans le digital comme dans l’art traditionnel, les débats resteront les mêmes. 

À gauche un Cryptopunk, à droite un Cryptophunk

Début novembre, c’est la folie dans la crypto. Les cours des monnaies s’envolent et des tonnes de personnes découvrent les NFT, principalement en Amérique du Nord et en Europe. Un phunk est vendu à plus de 130 000$ : 

La capitalisation totale du marché des cryptomonnaies atteint, elle, presque 3000 milliards de dollars et presque 140 milliards échangés en 24h. 

C’est à ce moment-là à peu près que je retrouve mon ami et passe quelques jours avec lui. Il a toujours son Cryptophunk et se demande s’il doit le vendre. Les cours montent tous tellement que tout le monde se demande si cela va bien s’arrêter. Pourtant, des inquiétudes s’élèvent déjà et certains redoutent une grande dégringolade. Au vu de la situation, c’est une très importante somme d’argent que mon ami peut tirer de cette vente. Je découvre avec lui tout le stress, toute l’inquiétude et la tension de tous les instants qui font son quotidien. Celui de savoir être assis sur une mine d’or et de pouvoir la voir s’évaporer du jour au lendemain. Nous en discutons beaucoup. Décision est prise de vendre son NFT. 

Je me souviendrai toujours de cette journée-là. En sortant de ma chambre, Fred me lance : 

  • T’as regardé Twitter ? 
  • Non
  • Je l’ai vendu
  • QUOI? 

Il venait de vendre son NFT pour plus de 160 000 de dollars, le record pour la collection à ce moment-là. Dans la foulée, plusieurs grosses ventes avaient suivi pour un montant dépassant le million de dollars. La journée même, le rappeur Tyga achetait un Phunk.

Et nous, de là où nous étions, on se disait que, peut-être, nos discussions avaient pu ne serait-ce que légèrement influencer un rappeur de 5 millions de followers à l’autre bout du monde à acheter un NFT, l’essence même de l’effet papillon. 

Épilogue

 

Cet épisode a fini par me convaincre qu’il fallait que je m’intéresse de bien plus près à cet écosystème si obscur mais si passionnant et intriguant. J’ai mis beaucoup de temps à m’intéresser au monde de la cryptomonnaie mais je suis aujourd’hui persuadé que les technologies qui sont en train de se développer sur le Web 3.0 seront parmi les solutions du monde de demain. 

De la volonté de décentraliser les organisations à la technologie NFT, outre son utilisation dans l’art, en passant par la possibilité d’être sa propre banque (on a récemment vu les ukrainiens et les russes se ruer sur les cryptomonnaies pour se protéger de l’inflation dû à la guerre), il existe de nombreux cas potentiels d’utilisation. 

Dans le même temps on voit de tout et n’importe quoi et il semble assez évident que nous soyons dans une bulle spéculative. Mais les plus vieux s’en rappelleront, ce n’est pas la première fois que le Web connaît une telle euphorie. Lors de la Bulle Internet de 2000, puis d’autres qui en suivront, certains entrepreneurs sont devenus multimillionnaires en quelques mois. Les investisseurs, totalement déboussolés face à ce nouveau type d’entrepreneuriat, n’étaient pas capables de valoriser correctement ces compagnies web.

Interview secrète incroyable de Gilles Babinet qui est sur le point de vendre sa startup pour 100 millions d’euros fin 2005 (à voir jusqu’à 1’15)

Aujourd’hui, celles qui ont survécu (Google, Amazon, eBay) ou sont nées après (Facebook) sont toutes puissantes. Il est probable qu’il en aille de même pour les protocoles en cryptomonnaie. Tout ce qui n’apporte rien disparaitra et seuls les protocoles solides et utiles resteront. 

De mon côté, je marche sur les traces de Fred. J’ai suivi ses conseils, appris à naviguer sur le Web 3 et suis pour l’heure très satisfait de mon aventure. Bien sûr, ce n’est pas encore le million mais je peux vous dire que j’ai de quoi écrire un billet tout aussi passionnant que celui-ci très prochainement – si bien sûr vous avez trouvé ça passionnant, sinon merci d’avoir lu quand même jusqu’ici, wow, vous êtes forts, vraiment.